Chroniques de José Hurtado Pozo

Chroniques "Desde Friburgo"

Le professeur émérite José Hurtado Pozo commente l'actualité internationale depuis la Suisse.

Traduction de la version originale en espagnol

 

Analyse critique de l'acte de mise en accusation contre Pedro Castillo pour le délit de rébellion

 

I. Introduction

Je persiste dans mes analyses sur le délit de rébellion, bien que, apparemment, mes commentaires précédents n'aient guère suscité d'intérêt. Cependant, certains ont été cités ou partagés, tant par ceux qui les considèrent favorables que par ceux qui les estiment contraires aux personnes impliquées. Tout cela tenir compte du fait que mon objectif a été d'analyser les questions doctrinales et procédurales que posent les cas pris comme exemple. Il s'agit d'une tâche influencée, bien entendu, par mes perspectives sociales et juridiques, guidées par le désir de contribuer au renforcement de la démocratie et, en particulier, des droits fondamentaux.

Conformément à la finalité de ce commentaire, nous nous limiterons à analyser les aspects relatifs à la mise en accusation de Pedro Castillo Terrones.

Par l'Auto de Enjuiciamiento (Résolution N° 52, en date du 12.11.2024), la Chambre Suprême d’enquête préparatoire (Juzgado Supremo de Investigación Preparatoria) a déclaré recevable la mise en accusation de Pedro Castillo Terrones et des autres accusés pour le délit de rébellion, entre autres, conformément aux dispositions des articles 352° et 353° du Code de Procédure Pénale.

Les fondements de la décision sont multiples. Les principaux découlent de la demande d'accusation formulée par le Deuxième Parquet suprême transitoire spécialisé dans les délits commis par des fonctionnaires (Segunda Fiscalía Suprema Transitoria especializada en Delitos Cometidos por Funcionarios Público), dont les arguments factuels et juridiques sont admis et évalués par l'organe juridictionnel.

 

II. Faits imputés à Pedro Castillo en relation avec la rébellion

Il est reproché à Pedro Castillo, en sa qualité de Président de la République :

  1. D’avoir convenu avec d’autres fonctionnaires (comme Betssy Chávez, Aníbal Torres, entre autres) de la dissolution inconstitutionnelle du Congrès et de l’instauration d’un "gouvernement d’exception" (gobierno de excepción) (Auto d’Enjuiciamiento, 5.1.2.1).
  2. D’avoir tenté d’imposer ce nouvel ordre constitutionnel par la force, en tirant parti de sa qualité de Chef Suprême des Forces Armées et de la Police nationale (5.1.2.6).
  3. D’avoir prononcé un message à la Nation le 7 décembre 2022, dans lequel il annonçait (5.1.2.5) : l’établissement d’un gouvernement d’exception (gobierno de excepción) ; la dissolution du Congrès, en l’absence de la double censure exigée par l’article 134 de la Constitution ; le gouvernement par décrets-lois (gobernar mediante decretos-ley) ; la réorganisation du système judiciaire (Pouvoir judiciaire, Ministère public, Conseil national de la justice et Tribunal constitutionnel) ; le couvre-feu à l’échelle nationale (toque de queda a nivel nacional).
  4. D’avoir ordonné, par l’intermédiaire du ministre de l’Intérieur de l’époque, la fermeture du Congrès et l’intervention du Procureur de la Nation (Fiscal de la Nación).
  5. D’avoir ordonné des actions policières pour empêcher l’entrée des parlementaires au Parlement.
  6. Enfin, d’avoir sollicité l’asile politique au Mexique après sa destitution.

 

III. Fondements légaux invoqués et interprétation judiciaire pour lui imputer une responsabilité

L’article 346 du Code pénal péruvien est invoqué, selon lequel commet une rébellion celui qui "se soulève en armes pour changer la forme de gouvernement, déposer le gouvernement légalement constitué ou supprimer ou modifier le régime constitutionnel".

Cette disposition est interprétée dans les termes suivants:

  1. Elle exige un soulèvement ou une insurrection contre l’ordre juridique constitutionnel et ses principes fondamentaux.
  2. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une mobilisation populaire ou un tumulte public ; une irruption violente, hostile et intimidante suffit.
  3. Cette irruption doit viser l’ordre public constitutionnel et être réalisée par l’usage d’armes.
  4. Cette irruption peut se manifester (« puede informarse ») dans toute expression de force traduisant une hostilité envers les pouvoirs publics, rompant ainsi la soumission aux lois et autorités légitimes.
  5. Le « soulèvement en armes » se consomme instantanément, sans qu’il soit nécessaire d’atteindre les objectifs poursuivis (pas de résultat à atteindre).
  6. Un dol direct ainsi qu’un élément subjectif supplémentaire de volonté déterminée (tendencia interna trascendente) sont requis : l’agent doit avoir conscience de commettre un soulèvement en armes et en assumer les conséquences.

Ces conditions étant considérées comme remplies, Pedro Castillo a engagé sa responsabilité pénale en tant qu’auteur du délit de rébellion. En somme, il est soutenu que le recours aux Forces Armées et à la Police, ainsi que l’ordre de prendre le contrôle des autres pouvoirs de l’État, constituent un "soulèvement en armes" (alzamiento en armas) au sens juridique.

En outre, l’article 45 de la Constitution est cité : "Le pouvoir de l’État émane du peuple. Nul ne peut s’en arroger l’exercice. Le faire constitue une rébellion" (rebelión).

 

IV. Soulèvement en armes, irruption violente et le "jeu du langage juridique"

L’Auto d’Enjuiciamiento présente de sérieuses faiblesses juridiques : il étend de manière indue et risquée le concept de "soulèvement en armes" et ne démontre pas suffisamment le dol spécifique exigé pour caractériser le délit de rébellion.

Comme souligné dans d’autres commentaires publiés sur cette même page, la faiblesse de l’argumentation fiscale et judiciaire réside dans l’interprétation de l’expression "se soulever en armes", noyau du type pénal. Bien qu’il soit affirmé qu’une "irruption violente par l’usage d’armes" est indispensable, on admet aussi, dans une formulation équivoque, que cette irruption "peut se traduire (puede informarse) par toute manifestation de force signifiant une hostilité envers les pouvoirs publics, impliquant une rupture avec la soumission aux lois et autorités légitimes".

Par conséquent, on en vient à admettre, de manière plus implicite qu’explicite, qu’un simple acte de force dirigé contre les pouvoirs établis, s’il vise à subvertir l’ordre institutionnel, pourrait suffire à caractériser un "soulèvement en armes". Ainsi, une simple déclaration publique de décisions inconstitutionnelles, accompagnée d’ordres verbaux adressés aux forces de l’ordre, pourrait être qualifiée de rébellion.

Cette dérive conceptuelle élargit la compréhension traditionnelle du "soulèvement en armes" – entendu comme affrontement armé ou insurrection populaire – jusqu’à englober l’usage instrumental des forces de l’ordre contre l’ordre constitutionnel, même en l’absence de violence effective ou de déploiement armé.

La seule qualité de Chef Suprême des Forces Armées ne suffit pas à transformer un ordre illégitime en soulèvement armé. Même si l’accès au Congrès avait été entravé, de tels actes relèveraient plus raisonnablement d’infractions telles que l’abus d’autorité (abuso de autoridad), sans atteindre le seuil de la rébellion.

 

V. Au-delà des élucubrations dogmatiques

Ce type de raisonnement révèle une application du droit pénal fondée sur une logique d’efficacité performative du langage (eficacia performativa del lenguaje), c’est-à-dire que certains énoncés, dans un certain contexte, produiraient automatiquement des effets juridiques.

Cependant, en rédigeant l’article 346, le législateur a utilisé un langage prescriptif destiné à dissuader les citoyens de recourir aux armes à des fins subversives. Si l’on interprète cet article à partir de la logique de la performativité du langage, on en dénature l’objectif, qui n’est pas de punir les intentions, mais les actes.

Si telle avait été la volonté du législateur, il aurait pu recourir à des formulations analogues à celle de l’article 325, relatif à la haute trahison (traición a la patria), qui sanctionne celui qui "pratique un acte visant à soumettre la République...". En ce cas, le simple fait de proclamer un soulèvement en armes suffirait à constituer l’infraction.

Par conséquent, il est juridiquement infondé de soutenir qu’une personne encourt le délit de rébellion dès lors qu’elle formule un ordre ou une déclaration dans l’intention d’altérer l’ordre constitutionnel, sans usage effectif des armes.

 

VI. Principe de légalité et discrétion normative du juge pénal

L’extension excessive du concept de "soulèvement en armes" porte atteinte au principe de légalité, fondement de l’État de droit et garantie essentielle des droits fondamentaux.

Assimiler une déclaration politique – fût-elle illégitime – à un acte de violence armée revient à confondre communication et coercition. La rébellion, telle que définie légalement, exige des actes matériels, et non de simples paroles.

De plus, qualifier de rébellion des faits dénués de violence effective dénature le type pénal et affaiblit les garanties judiciaires. Une telle réponse punitive pourrait même faire l’objet de contestations devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme (Corte Interamericana de Derechos Humanos), pour violation du principe de proportionnalité.

Il est vrai que le langage juridique est polysémique et demande une interprétation. Mais cela n’autorise pas le juge à outrepasser les limites du texte légal, qui doit rester à la fois point de départ et de clôture de son analyse. Comme le soulignait Michel Foucault, le discours juridique moderne fonctionne comme un "mythe fondateur", légitimant la punition sous l’apparence de prévisibilité et de rationalité. Cette tension – entre légalité formelle et nécessité d’interprétation – n’est pas un défaut, mais la condition même de l’exercice du pouvoir dans un État de droit.

En guise de morale, retenons le proverbe : "Le droit n’est pas dans les mots mais dans la compréhension" (El derecho non es en las palabras mas en el entendimiento), attribué à Alphonse X le Sage, qui sut allier droit et sagesse dans Les Sept Parties (Las Siete Partidas).

 

Fribourg, mai 2025
Prof. Emeritus José Hurtado Pozo

 

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